jeudi 22 août 2013

PLATEFORME – APPEL POUR L’UNIFICATION – RECONSTRUCTION DE LA GAUCHE ET LA REFONDATION DE LA POLITIQUE AU SENEGAL ​



I. DE LA GAUCHE  HISTORIQIUE CONTEMPORAINE ET DE SES RESPONSABILITES

Notre pays, le Sénégal, après trois cents ans de traite des esclaves et de colonisation, est devenu formellement indépendant en 1960, tout en restant une néo-colonie de l’impérialisme français. Des millions de forces vives africaines ont été réduites en esclaves et arrachées de notre continent, dont les ressources naturelles  ont fait et continuent de faire l’objet de pillage systématique. Le tout, au seul profit du capital, des multinationales exploiteuses et de leurs serviteurs locaux. Mais là où il y a l’oppression, naît la résistance. Résistance farouche des nations, des peuples, des intellectuels progressistes, des travailleurs des villes et des campagnes d’Afrique.  Le régime néocolonial, dans le prolongement du pouvoir colonial, a cherché à étouffer toute velléité de lutte ; à titre d’illustration, il a interdit et réprimé férocement le PAI, né en même temps que la publication de son manifeste historique en  septembre 1957. Il a alors instauré, des décennies durant, un régime de parti unique de fait, faussement drapé du manteau du socialisme. Il a procédé à l’arrestation et à l’emprisonnement des dirigeants de l’aile nationaliste progressiste du parti dominant, traqué et réprimé violemment les organisations de gauche, souvent contraintes à la clandestinité, ainsi que les organisations sociales, syndicales, scolaires et estudiantines, les organisations démocratiques et patriotiques combatives. Le soulèvement populaire de Mai 68 et ses répercussions ainsi que les nécessités d’adaptation du système capitaliste international, confronté à une profonde crise structurelle, ont contraint le régime à desserrer l’étau, pour instaurer le multipartisme « limité » puis « intégral ». En même temps, le pays entrait de plain pied dans le cycle infernal des diktats libéraux des plans d’ajustement structurel, imposés par les institutions de Bretton Woods depuis la fin des années 70. La dévaluation du Franc CFA en 1994, et aussitôt après les privatisations des entreprises nationales stratégiques, ont constitué des étapes décisives dans le processus de spoliation du peuple par l’impérialisme.

Parallèlement, l’émiettement de la Gauche historique, pour des raisons à la fois subjectives et objectives, s’est soldé par la bipolarisation politique des luttes électorales entre deux courants politiques ayant, quant au fond, un même programme, anti-peuple, dicté par le FMI, la Banque Mondiale et l’OMC : les «sociaux-démocrates» et les «libéraux». La Gauche historique quant à elle, émiettée et affaiblie, a été bien souvent réduite au rôle de force d’appoint électoral. C’est ainsi que les deux alternances au Sénégal, survenues le 19 mars 2000 et le 25 mars 2012, ont porté au pouvoir les libéraux, appuyés à chaque fois par les forces de la gauche historique. Ces alternances démocratiques, conquises de haute lutte par la mobilisation populaire, les jeunes et les femmes en première ligne, à l’image des émeutes post électorales de 1988, de la secousse tellurique de février- mars 2000 ou de la révolte populaire et citoyenne du mouvement des forces vives du 23 juin 2011, n’ont pas permis cependant d’en finir avec la domination impérialiste, ni avec la bipolarisation politique entre ‘’sociaux- démocrates’’ et ‘’libéraux’’. Le sous développement, le chômage, la pauvreté, le pillage des richesses nationales et des écosystèmes naturels par les firmes monopolistes alliées à la bourgeoisie bureaucratique et compradore locale, la vie chère, les inondations à répétitions,  la déliquescence du service public de l’école et de la santé, l’asservissement de la paysannerie ainsi que des masses laborieuses des villes et des banlieues, la gouvernance autocratique de népotisme, d’accaparement et de prédation, le piétinement de l’éthique et des valeurs de progrès, la marginalisation des langues et cultures nationales ainsi que du génie culturel créateur de notre peuple, la complaisance coupable avec la corruption, l’impunité, le laxisme et l’indiscipline,   constituent autant de freins au combat plus que jamais actuel pour la libération nationale et l’émancipation sociale.

Sous ce rapport, les victoires d’étape du 19 Mars 2000 et du 25 mars 2012, bien que de haute portée,   laissent intactes les bases de classe du système de domination de notre pays, posant l’exigence d’affirmation du programme alternatif antilibéral de rupture conséquente d’avec l’ordre néocolonial - capitaliste. Gauche alternative, nous faisons nôtre cette conviction de feu le Professeur Abdoulaye LY : « Le triomphe éclatant du système de domination et d’exploitation ne commande pas la capitulation ni une quelconque perte de foi. Il appelle au contraire l’organisation d’un puissant contre- pouvoir, animé par les consciences nouvelles, mobilisées dans un ordre de bataille nouveau ».

C’est pourquoi, nous lançons un appel pressant à la Gauche historique contemporaine, organisations comme individualités, un appel à assumer ses responsabilités ici et maintenant, à faire preuve d’audace, de lucidité et de courage, pour mettre sur la table et partager son bilan, afin d’être mieux armée pour jouer un rôle de contrôle et de sentinelle vigilante des intérêts fondamentaux des masses, travailler d’arrache-pied à l’indépendance effective d’une force populaire capable de mettre fin aux méfaits du libéralisme tout comme aux illusions sociale-démocrates de réforme superficielle du système de domination néocoloniale. Mettre un coup d’arrêt à son émiettement, construire l’autonomie populaire, il n’y a pas d’autre issue pour la Gauche, sommée de réaliser son unité sur la base de granit d’une plateforme anti-impérialiste, anticapitaliste et antilibérale, panafricaniste et internationaliste. Ce faisant, elle sera en mesure de dépasser sa division et ses faiblesses si décriées, avec leur cortège de répercussions négatives au sein du peuple, des travailleurs et de leurs organisations syndicales en particulier. C’est dans cette perspective que s’inscrit, modestement et avec  esprit d’ouverture, l’acte unitaire posé le 28 juillet 2013 à travers la fusion entre Yoonu Askan Wi et Ferñent / MTPS, en tant que pas concret en avant sur la voie du projet global d’unification de la Gauche historique contemporaine dans notre pays.

C’est le lieu ici de souligner avec force que l’unification de la gauche, pour être féconde et porteuse, devra s’appuyer sur un bilan autocritique sans complaisance, permettant, tout en tenant ferme sur les idéaux, valeurs et principes de gauche, de refonder et de re-crédibiliser la politique, l’action politique et les acteurs politiques eux-mêmes. Il importe plus que jamais de mettre au cœur de la politique l’éthique, la responsabilité, le respect dû au citoyen et la primauté absolue de l’intérêt général, de l’intérêt du peuple. En même temps, impulser la démocratie participative et inclusive, en favorisant l’horizontalité afin de rompre d’avec le bureaucratisme étouffant et inefficace. Promouvoir, loin de tout mimétisme, l’enquête, la recherche, la production théorique, la créativité et l’innovation dans les discours comme dans les démarches. Partir de la maitrise de la spécificité de nos réalités au Sénégal et en Afrique, nous approprier l’identité et le génie culturel créateur de notre peuple, assurer la liaison avec les masses, la liaison entre la nouvelle conscience militante et l’action transformatrice sur le terrain à travers les luttes et les solidarités actives à l’échelle du monde contre toute forme de domination. Voilà autant d’exigences pour un nouveau militantisme, un nouvel humanisme pleinement assumé dans la réciprocité et l’égalité la plus complète, en tant qu’alternative à la crise globale de civilisation charriée par le néolibéralisme mondialisé.

II.  DE QUELQUES AXES MAJEURS DE NOTRE ALTERNATIVE

L’alternative que nous proposons à notre peuple s’articule autour des axes majeurs suivants :

1) Sur le plan politique et institutionnel :

-Une République populaire, laïque, garantissant la liberté de culte, une république démocratique et sociale, dont les institutions émanent de l’expression souveraine du peuple à travers l’élection à tous les échelons – national, régional, local – selon le principe de la démocratie participative qui inclut le contrôle citoyen, le referendum d’initiative populaire et la révocabilité ;
-La suppression du système présidentialiste néocolonial et, dans le prolongement des conclusions des Assises Nationales du Sénégal, la séparation et l’équilibre des pouvoirs Exécutif, Législatif et Judiciaire, la garantie des libertés collectives et individuelles, celles des travailleurs en particulier, l’égalité effective entre homme et femme, le droit à l’éducation, à l’instruction, à la santé, au sport et aux loisirs sains, l’accès des masses populaires à tous les services sociaux de base, l’exercice des libertés et droits syndicaux, la promotion du pluralisme médiatique, la protection des droits et intérêts des Sénégalais de l’extérieur;
-L’approfondissement de la décentralisation, la responsabilisation  et le renforcement réels des pouvoirs locaux, pour l’enracinement, à partir de la base, de la démocratie participative et inclusive;
-La moralisation de la vie politique, l’élimination des niches de dépenses superflues et de gaspillage gonflant le train de vie de l’Etat, l’assainissement des finances publiques, la traque sans faiblesse des biens mal acquis et autres crimes économiques, le châtiment exemplaire des crimes de sang;
-L’indépendance nationale véritable, mettant fin à la présence sur notre sol de bases militaires étrangères, françaises notamment, et abrogeant tous les accords contraires au principe de souveraineté nationale;
-La promotion d’une armée nationale populaire, patriotique au service du développement et sa dotation en moyens adéquats pour assurer la défense de la patrie;
-La paix en Casamance, dans l’unité nationale sur des bases démocratiques, en adéquation avec la perspective panafricaine ;
-L’union libre des peuples libres d’Afrique, dans l’optique de l’intégration et de l’unité des pays et des peuples de notre sous région et de notre continent ;
-La solidarité internationale avec le peuple palestinien martyr, avec le peuple cubain contre le blocus étatsunien, ainsi qu’avec tous les travailleurs, les mouvements sociaux, tous les peuples en lutte et toutes les nations victimes des agressions impérialistes, pour le respect du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

2) Sur le plan économique,  social et environnemental :

-Rupture avec la logique libérale imposée par les institutions de Bretton Woods et la mondialisation capitaliste;
-Mise en place d’une monnaie commune africaine souveraine, régionale ou continentale, indépendante du Franc CFA et de tout autre instrument économique ou monétaire de domination impérialiste;
-Planification participative du développement national, industrialisation articulée au développement de l’énergie, des mines,  de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche, des infrastructures de transport, des industries culturelles, du tourisme responsable, de l’artisanat et des innovations technologiques, selon les besoins du pays et dans une perspective de sortie du sous développement. ;
-Nationalisation et gestion démocratique, économe, efficace et efficiente, sous contrôle des travailleurs et des citoyens, des secteurs économiques stratégiques – sol, sous-sol, banque nationale, eau, électricité, télécommunications, ports, aéroports, chemins de fer, etc., afin d’en faire de puissants leviers de développement économique et social ;
-Promotion du patriotisme économique, partenariat entre l’Etat et le secteur privé national dans la mise en œuvre de la stratégie de développement endogène et de sortie du sous-développement;
-Stimulation d’une révolution agricole apte à  assurer la souveraineté  alimentaire par la réforme agraire participative, la lutte contre la spéculation foncière, la modernisation et la diversification de la production agricole, la maîtrise de l’eau, l’élévation de la productivité, la fertilisation des sols, la valorisation de la recherche - développement, l’instauration d’un système de prix incitatifs, le soutien aux agriculteurs, notamment à l’exploitation paysanne familiale, leur meilleure organisation et plus grande responsabilisation, et plus globalement la promotion du « consommer local, consommer qualité » ;
-Soutien à une meilleure organisation des secteurs informels et à leur intégration optimale dans l’activité sociale et économique nationale;
- Audit de la dette extérieure injuste et mobilisation internationale pour son annulation ;
-Réduction progressive des  inégalités entre les villes et les campagnes, entre les régions et les territoires, entre travail manuel et travail intellectuel;
-Elaboration d’un système fiscal juste et équitable, transparent et dégressif, qui favorise l’investissement dans les activités productives, la création d’emplois, la prise en charge des préoccupations sociales des classes et couches populaires les plus démunies, qui maitrise le transfert des capitaux et le rapatriement des bénéfices, ce afin de favoriser le développement de l’épargne nationale;
-Réforme, généralisation et renforcement du système de sécurité sociale, au profit notamment des travailleurs ainsi que des personnes en situation de handicap et des personnes du 3ème âge, et prise en charge efficace des besoins de vie sociale décente des classes et couches populaires défavorisées ;
-Protection efficace de l’environnement, de la biodiversité et des écosystèmes naturels, lutte contre les Organisme Génétiquement Modifiés (OGM) dans une perspective de développement endogène et durable ;
-Priorité à la coopération et à la solidarité africaines et Sud/Sud.

3) Sur le plan culturel :

-Droit à l’instruction et à l’éducation gratuite, instauration d’un système d’enseignement démocratique, populaire favorisant les sciences, les technologies, les innovations, les sciences sociales et humaines développant l’esprit critique et la conscience citoyenne, en vue de forger un  nouveau type d’Africain ;
-Eradication de l’analphabétisme, des vestiges de la féodalité, de l’ignorance ainsi que  de la fracture numérique, modernisation et valorisation de l’éducation traditionnelle non formelle, promotion des savoirs et savoir-faire locaux ;
-Enracinement dans la diversité et la richesse de nos identités culturelles, appropriation et diffusion des valeurs positives de nos cultures nationales ainsi que des valeurs de progrès social et des acquis scientifiques, techniques et technologiques à travers le monde, en tant que patrimoine de l’humanité;
-Refonte participative des contenus et programmes d’enseignement, développement planifié, sur l’ensemble du territoire national, des écoles et instituts de formation technique et scientifique, artistique et sportive, pour satisfaire les besoins de qualifications et de création d’emplois au service de l’économie nationale et du développement social;
-Valorisation des langues nationales par leur enseignement et utilisation dans le système éducatif, l’administration publique et la vie sociale, en tant que catalyseurs de la démocratie participative et citoyenne, outils de travail officiels et supports irremplaçables de développement économique, social et culturel;
-Campagnes de masse  et communication pour le changement des mentalités et des comportements, la promotion de l’éthique, de l’esprit de responsabilité, de la discipline, de l’effort, du mérite et de la primauté de l’intérêt général ;
-Garantie de la liberté de création sous toutes les formes artistique, culturelle, intellectuelle et scientifique, dans le respect d’autrui, de ses croyances et de ses valeurs.

Attentifs et critiques, adossés à notre propre bilan autocritique, juchés sur les épaules d’illustres patriotes révolutionnaires tels que Lamine Ibrahima Arfang SENGHOR, Thiémokho Garang KOUYATE, Patrice Eméri LUMUMBA, Ruben UM NYOBE, Osende AFANA, Kwame NKRUMAH, Amilcar CABRAL, Cheikh Anta DIOP, Thomas SANKARA, Nelson MANDELA, tant d’autres martyrs de la Gauche et combattants de la cause des peuples africains, nous invitons à une réflexion et à une réponse partagée à cette question posée par  Abdoulaye LY, « vieux militant de la gauche sénégalaise, devenu citoyen sans parti et demeuré politiquement engagé », comme il a eu à se définir lui-même :  « Pourquoi ne pas, d’ores et déjà, partir délibérément du triomphe du libéralisme (…,)  qui force tous les hommes de paix et de progrès à organiser, où qu’ils soient,  le refus de la soumission à l’exploitation et à l’injustice, en postulant la nécessité de faire vivre une Nouvelle Gauche, unie à la base et partiellement intégrée autour de l’axe d’une solide formation politique ou d’une puissante coordination de structures partisanes ? » Sous cet éclairage, la présente plateforme politique unitaire se veut le dénominateur commun d’une alternative antilibérale et anti-impérialiste, base de l’unification de nos organisations et de nos volontés respectives de militants et militantes de gauche. Elle s’inscrit dans une perspective de transition sociale et politique vers le socialisme, pour une société débarrassée de l’exploitation de l’homme par l’homme, reposant sur l’affirmation d’un nouvel humanisme social d’émancipation, d’épanouissement individuel et de réalisation collective. Elle est soumise aux autres composantes de la Gauche révolutionnaire, anti-impérialiste, antilibérale, anticapitaliste, panafricaniste et internationaliste, afin d’accélérer et de servir utilement son projet d’unification, de reconstruction et de transformation sociale au service du peuple.


Fait à Dakar le 18 Août 2013s

SIGNATAIRES :

- Yoonu Askan Wi

- Ferñent / MTPS

Personnalités de gauche :

-Alla KANE, membre du PAI historique, militant de gauche

-Mactar Fofana NIANG, membre du PAI historique, militant de gauche

-Birahim BA, Professeur d’histoire et de géographie, militant de gauche

-Joseph PREIRA, Sénégalais de la diaspora / Italie, militant internationaliste de gauche

-Thierno Diop, Professeur de philosophie, militant de gauche

-Daouda Faye, Inspecteur de la jeunesse et des sports, militant de gauche

-Mame Moussa Diédhiou, Enseignant, militant de gauche

-Amadou Ady Sene, étudiant à Paris, militant panafricain de gauche



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