An II de la deuxième alternance au Sénégal
: de l’esquive de la transition à l’esquisse de la refondation. Qui
voudrait mettre au frigo l’avant-projet de Constitution de la CNRI ?
L’analyse des deux
années faisant suite à l’alternance du 25 mars 2012 dans notre pays, montre clairement
jusqu’à quel point il était nécessaire d’ouvrir une transition vers une
république sociale de rupture, avec la mise en œuvre de mesures d’urgence
structurées autour des trois axes suivants : la refondation des institutions républicaines, l’assainissement
des finances publiques articulé à un programme économique et social prioritaire,
et la mise en place des conditions favorables au retour définitif de la paix en
Casamance. C’est à l’aune de ladite transition, non déclarée certes, que nous
apprécierons le parcours de ces deux dernières années, autour des cinq repères
essentiels ci-dessous.
1. Exigence
de mesures prioritaires urgentes : Les mobilisations et luttes des
masses qui se sont développées durant cette période, les réponses apportées par
les nouvelles autorités, y compris la mise en place de diverses politiques et
commissions ad hoc dans plusieurs domaines importants tels que la lutte contre
les inondations, les jalons posés pour
une réforme concertée des institutions ainsi que de l’enseignement supérieur et
de l’éducation nationale, le lancement de politiques de sécurité sociale et
d’allègement des difficultés des plus démunis et autres laissés-pour-compte, les
actes posés en direction de la paix en Casamance, renvoient, à n’en pas douter,
à la feuille de route d’une transition. Dans
le même temps, ces initiatives confirment la nécessité qu’il y avait d’établir
un programme social d’urgence explicite. C’est aussi dans la même logique que
s’inscrivent les mesures prioritaires de relance économique et d’assainissement
des finances publiques, telles qu’exprimées dans le traitement de plusieurs
dossiers, dont l’adoption d’un nouveau code des impôts, la traque des biens mal
acquis, la lutte contre la fraude et la corruption…
2. Une
transition esquivée et escamotée : le déroulement de cette
transition n’a pas fait malheureusement l’objet d’une délibération officielle
et n’a pas été ouvertement conduite comme telle, avec l’adoption d’un
chronogramme partagé. Les importants retards et dysfonctionnements révèlent de
sérieux problèmes de pilotage, tout en contribuant à installer une forme
d’esquive et d’escamotage de cette transition. A cela s’ajoutent deux facteurs liés
: d’une part, l’absence d’une Assemblée législative élue au suffrage universel
direct, et légalement dotée d’un pouvoir
constituant pour être habilitée à s’ériger en dépositaire d’une nouvelle
constitution à soumettre à la sanction du peuple souverain; de l’autre, le défaut d’un cadre transversal de
supervision et de mise en cohérence du travail de l’ensemble des structures
préposées aux réformes institutionnelles (Nouvelle constitution, Acte III de la
décentralisation et modification du code
des collectivités locales, réforme foncière, revue du code électoral, etc.).
Tout cela mis ensemble constitue présentement la cause principale de ce que
l’on peut considérer comme des points d’achoppement de la refondation
institutionnelle, engagée à travers différents compartiments.
3. Proposition
d’un avant- projet de Constitution par la CNRI : Parmi
les évènements majeurs de cette période, le dépôt par la Commission Nationale
de Réforme des institutions de son Rapport accompagné d’une proposition d’avant-projet
de Constitution, représente incontestablement un fait majeur, devant annoncer la fin de la transition du point de vue
de la refondation institutionnelle. Sa démarche citoyenne, participative et
inclusive ainsi que le contenu de son projet s’inscrivent en droite ligne de ce
renouveau social dont la lame de fond n’a pas cessé, par vagues successives tout
au long de ces dernières décennies, d’expurger du corps social sénégalais ‘’les
démons de ses mauvais côtés’’.
Voilà aussi pourquoi, en mettant l’accent
sur la construction d’une citoyenneté
populaire désaliénée à l’épicentre de la dynamique de transformation de
l’espace public, le projet formulé par la CNRI constitue un acte symbolique
fort, de portée stratégique. Cette proposition permet de situer d’emblée la
redéfinition des relations entre les différentes institutions de représentation
et de décision que sont les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, sur un
terrain désormais propice au contrôle
populaire autonome à travers l’exercice de la démocratie directe.
Certains constitutionnalistes proches de la sphère
présidentielle, probablement de bonne foi, font montre toutefois d’un juridisme
de mauvais aloi, en essayant de limiter la problématique posée et à résoudre,
à de simples retouches de quelques dispositions de la constitution en vigueur.
Pour étayer leur argumentaire, ils allèguent la nécessité d’éviter une certaine
récurrence des révisions de la charte fondamentale, en se référant à ce qui
s’est déjà passé en 2001 avec la première alternance. De fait, l’actuel avant-projet
de Constitution s’inscrit dans le
prolongement de l’immense soif de changement de cette époque, exprimée à travers
la volonté et la lutte des acteurs mobilisés à cet effet. Fort
malencontreusement, Wade a tout fait
pour étouffer dans l’œuf ce besoin de changement en profondeur, dans l’optique
d’assouvir son ambition autocratique de s’imposer, lui et les siens, quitte à faire
du ‘’wax waxeet’’ ou à violer la charte fondamentale du pays. Cela implique que
l’enjeu demeure non pas seulement le dépassement de la constitution de 2001,
mais aussi et surtout l’alternative à la constitution de 1963 qui, dans le fond,
perdure et continue de parasiter toute tentative d’avancer de façon décisive
au-delà du présidentialisme néocolonial. Une nouvelle constitution est en
conséquence l’exacte mesure de la rupture à opérer ici et maintenant, afin
d’être en phase avec l’élaboration d’une
citoyenneté sénégalaise se nourrissant de la substantifique moelle de notre
patrimoine historique. Ce patrimoine, bien que malmené, reste adossé au
génie de notre peuple et demeure apte à faire la synthèse de nos valeurs
culturelles et spirituelles les plus positives, pour les élever à tous les
niveaux à l’échelle d’œuvres de civilisation africaines contemporaines.
4. Pour un
referendum populaire:
En exerçant son droit d’initiative par la mise en place d’une CNRI et en en
confiant le pilotage à un citoyen patriote, compétent, indépendant et respecté,
Amadou Makhtar Mbow, le Président de la République Macky Sall a fait un pas
appréciable, après ceux consistant à supprimer le Sénat et à réduire son mandat
présidentiel de sept à cinq ans. Ce faisant, il concrétisait son engagement
solennel et public de matérialiser, s’il était élu, les conclusions des Assises
Nationales, après avoir signé auparavant la Charte de gouvernance démocratique.
Au vu de la qualité de sa démarche et de son contenu, le travail de la CNRI,
ouvert et transparent, mérite d’être salué par l’ensemble des démocrates et
patriotes, les masses de jeunes et de femmes, les ouvriers et paysans, les
travailleurs des villes et des campagnes, ainsi que par tous les laissés-pour-compte.
Le Président de la République serait-il cependant devenu détenteur d’un pouvoir
constituant lui conférant la prérogative de passer le texte au tamis, pour ne
retenir que ce qui lui conviendrait et décider ainsi tout seul du sort de
notre architecture institutionnelle? Procéder de la sorte serait un recul susceptible
de gommer d’un seul coup les avancées notées plus haut. Par contre, proposer
le projet tel quel à l’adoption du
peuple par voie de referendum serait un autre pas en avant qui aurait
l’assentiment de toutes les forces de progrès, parce que correspondant aux
motivations les plus véridiques des masses populaires, des démocrates et patriotes qui ont mis fin aux
dérives de tous ordres du régime des Wade. Ces motivations, loin de se limiter
au rafistolage du système antipopulaire et antinational existant, obéissent au
contraire à la nécessité d’opérer les transformations profondes arrivées à
maturité dans notre société. C’est là tout le mérite du M23 d’avoir organisé
tout récemment un panel de restitution des travaux de la CNRI. C’est aussi tout
le sens qu’il convient de donner au mot d’ordre formulé à l’occasion de cette
conférence : « TOUCHE PAS A MON
PROJET DE CONSTITUTION ! »
5. Deux
perspectives enchevêtrées et contradictoires : La transition a certes
été esquivée et escamotée parce qu’implicite et non déclarée. Elle n’en a pas moins connu un développement
effectif qui a mis en évidence deux perspectives enchevêtrées et
contradictoires : l’une, porteuse de régression au profit des forces de
réaction, avérées ou camouflées, charriant à foison des antivaleurs qui gangrènent
dangereusement le tissu social ; l’autre, exprimant une dynamique de
renouveau au bénéfice du peuple, interpellant toutes les parties prenantes de
la majorité populaire et citoyenne actrice de la victoire du 25 Mars. Yoonu
Askan Wi réaffirme avec force sa pleine adhésion à l’initiative des Assises
nationales. Sur cette lancée, il appelle toutes les forces démocratiques à
l’ouverture d’une nouvelle période par leur renforcement en « Pencum diisoo ou assemblée
citoyenne consultative», s’approfondissant
en « Pencum dogal ou
assemblée citoyenne délibérative» : il sera alors possible de promouvoir les trois grands piliers que sont la révolution des mentalités et des comportements par l’impulsion
d’une culture d’affirmation du citoyen sénégalais de type nouveau, l’indépendance nationale fondée sur la
maitrise de notre propre destin aux divers plans politique, économique, social,
culturel et écologique, et la
souveraineté populaire citoyenne, telle que prônée, au demeurant, par la
CNRI. C’est à ces conditions que les
tentatives de brouiller les repères, pour nous faire revenir en arrière,
seront neutralisées et que s’affirmera une véritable libération au service du
peuple sénégalais et de l’Afrique toute entière contre les forces de domination
interne et externe qui rament à contre courant de l’histoire.
Fait à Dakar
le 29 Mars 2014
Le Secrétariat
Permanent de Yoonu Askan Wi
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